Pour une fois, et c’était rare, Shizuka serait bien restée chez elle, tranquillement, à tenir une grande conversation avec son ventilateur. Il faisait chaud. Trop chaud. Sur ce dernier point, son père était parfaitement d’accord avec elle. Alors pourquoi diable l’avait-il quasiment mise à la porte à grand coups de "Regarde comme il fait beau" ou autres "Va donc jouer dehors ma chérie ! " ? Il voulait sa mort, ou bien quoi ?
Toujours est-il que, quatorze heures tapantes, le soleil plus haut que jamais, Shizuka se retrouvait congédiée par son propre père qui avait "besoin de tranquillité pendant son seul jour de repos". Conneries. Elle aurait très bien pu se tenir tranquille dedans. Mais l’autorité paternelle en avait jugé autrement, et la voila dehors, déjà en train de fondre littéralement.

Shizuka opéra un rapide calcul dans sa tête. Ou est-ce qu’elle pourrait trouver de l’ombre et une densité de population inférieure à douze personnes au mètre carré ? Bonne question. Ikebukuro n’étant pas franchement réputé pour être un havre de paix et de tranquillité, la tache s’annonçait ardue. Pourtant, au bout de quelques minutes d’intense réflexion, elle décida que le parc Minami ferait l’affaire en attendant d’être de nouveau la bienvenue dans sa propre maison.
L’endroit était bondé de gosses de huit ans qui jouaient au ballon en hurlant comme des sauvages, ou de gamines qui se tiraient les couettes en braillant. Pour la tranquillité, grinça-t-elle entre ses dents, on repassera. En réalité, ce n’étais pas tant le fait que les parents s’extasient devant leurs progénitures qui s’époumonaient à tout vent qui l'exaspérait, mais plutôt le fait que ladite progéniture se sente obligée d'importuner le premier venu. En occurence elle-même, Yuzuhira Shizuka, totalement abrutie par la chaleur et pas franchement désireuse de jouer à la poupée.

- Dis, dis, tu joues au ballon avec nous ?
- Oh, tu sais trésor, j'ai pas trop env.... commença-t-elle, agacée.
- S'il te plaaaaaaaaaait ! contra le gamin, visiblement désireux d'entamer avec elle un concours de décibels.

Yeux de poissons morts. Voix suraigüe destinée à déstabiliser l'adversaire. S'il croyait qu'elle allait se faire avoir, il allait en avoir pour ses frais.

- Bon, très bien, mais attention, je suis très très très forte ! s'exclama-t-elle, s'efforçant de prendre un ton enjoué.
- Nan ! Le plus fort, c'est moi !

Pas de toute, ce gosse avait de la répartie. C'est c'qu'on va voir, morveux, songea-t-elle. Un sourire aussi candide qu'hypocrite plaqué sur le visage, Shizuka flanqua un coup de pied dans le ballon de toutes ses forces. Le projectile vola, vola, vola, et disparut quelque part dans les pelouses du parc. Le temps que l'enfant éclate en sanglot et qu'un père bienveillant ne vienne lui passer un savon pour avoir fait de la peine à son gamin sanglotant, elle était déjà loin. Très loin, même.

Elle continua de marcher un petit peu, s'éloignant le plus possible des balançoires, tobogans, terrains de foot improvisés ou tout autre attraction succeptible d'attirer le genre de merdeux qu'elle venait de croiser. Dans ses écouteurs, Erin McCarley s'interrogeait sur la couleur du ciel, questionnement fondamental pour l'humanité.
Lorsqu'elle fut arrivée dans un coin qui semblait à peu près acceptable, elle se laissa tomber sous l'un des rares arbres qui se trouvaient là, nullement consciente qu'elle venait quasiment de se laisser tomber ... sur quelqu'un. Elle l'avait raté de quelques centimètres, visiblement pas assez pour le sortir de ses pensées.

- Eh bah c'est sûr, je ne voudrai pas de gosse moi...

C'est sur cette remarque pleine de bon sens que Shizuka capta enfin la présence de l'illustre inconnu, qui fit un bond de 18 mètres dans son estime par cette simple déclaration.

- Faut arrêter de faire des gosses, c'est clair. J'dis pas qu'il faut arrêter de se reproduire, m'enfin quand même. A quoi ça sert, à part à t'emmerder tout l'après-midi, ces ... trucs, là ? soupira-t-elle, oubliant momentanément qu'elle faisait à peu près la taille d'un enfant de 7 ans alors qu'elle en avait 6 de plus, et que son visage ne faisait pas franchement plus âgé.

Pas timide pour deux sous, elle se retourna vers l'inconnu, un grand sourire aux lèvres, tout en lui tendant la main.

- J't'aime bien, toi. C'est quoi, ton nom ?