Parc Minami – Ikebukuro – 22h08 et 15 secondes.

Adossé contre un arbre, une capuche rabattue sur sa tête déjà couverte d’un bonnet sombre, un étrange jeune homme se tient là, comme hors du temps. Sa tablette graphique maintenue par son bras gauche, il laisse glisser son stylet de professionnel dessus, le tenant fermement de ses graciles phalanges droites. La lumière de l’engin le submergerait presque, il n’a pas peur de se faire agresser ou de se la faire volée à l’arracher, celui-ci. Certain le penseront suicidaire, d’autres plus fou à lier qu’autre chose. En réalité, il sait d’avance que si une tierce personne tente seulement de poser ses mains sur sa tablette graphique, alors il la défoncera sur place, sans même lui donner le temps de s’expliquer. C’est comme ça quand on a son caractère, on ne fait pas dans la dentelle.

Sauf exception. Mais là, il n’était ni au cimetière, ni dans une église ou dans une quelconque autre institution qui méritait qu’il se tienne tranquille. Dans un lieu publique comme celui-ci, il faisait bien ce qu’il voulait, au final. En réalité, il attendait. Guettant tel le prédateur qu’il savait devenir en cas de besoin, il ne cillait pas ni se faisait le moindre mouvement autre que celui de faire du Ping pong avec ses yeux par alternance, histoire d’observer un minimum.

Avec un peu de chance, des écharpes jaunes passeraient par-là dans pas longtemps et là, il pourrait les suivre puis leur filer une bonne correction avant de les interroger sur l’incendie qui lui a tout prit, il y a quelques mois de ça. C’était un plan routinier mais bien huilé en fin de compte. Il avait pris l’habitude de faire ça deux à trois fois par semaines, lorsqu’il n’avait pas de concert à donner – et surtout lorsque son agent le laissait respirer plus de trente seconde d’affilée, aussi.

En revanche, il se devait d’être prudent et de camoufler au mieux sa chevelure rose, signe de sa vengeance mais également triste drapeau de ralliement pour toutes ses groupies et autres fans en chaleur. Hors, ce soir, non seulement il n’était pas escorté par les deux gardes du corps qu’on lui avait collé dans les pattes, mais en plus il n’avait pas envie de courir après autre chose que ses petites raclures de gamins de gang. Et puis il avait sa tablette sur lui tout de même, c’était fragile, ces choses-là.

Expirant un bon coup histoire de se vider les poumons d’un soupir qui n’aurait fait qu’alourdir un peu plus sa conscience, l’expatrié commence à avoir froid aux extrémités de ses doigts. Mais il n’en fait pas cas, son dessin l’accapare bien plus. Il risquerait même dérater ce pourquoi il est sorti exprès en catimini mais pour le coup, il s’en fiche totalement. Sous les pixels de son objet technologique se dessine peu à peu le visage d’une personne défunte, qu’il aime toujours d’un amour indescriptible pour qui n’en aurait pas été témoin dans un premier temps.

Sa sœur. Kayleight. Ses souvenirs à son propos sont toujours aussi nets. Ses yeux moqueurs, son sourire idiot toujours scotchés aux lèvres, le son de sa voix lui revient en mémoire, lui faisant oublié qu’il produit un peu de fumée à cause de la basse température qui s’est déposée là il y a peu. La chaleur de cet être n’étant plus suffit à le rendre nostalgique et à lui faire tout oublier, le temps que des couleurs apparaissent sur la surface presque blanche de sa tablette.
Elle lui manque. Et face à ça, il reste bien impuissant. La seule chose qu’il puisse faire maintenant, plongé dans son petit univers, c’est attendre.

En vain, peut-être. Mais attendre quand même.C’est la seule solution qu’il ait trouvé pour ne pas sombrer dans la folie la plus totale.

La vengeance est le remède à tous les maux.